![]() | Dossier «L'Affaire du RER D» — Divers | ![]() |
Et si Ariel Sharon se mêlait de ce qui le regarde ? A-t-il jamais entendu, lui, le dirigeant d'une nation quelconque lancer un appel solennel aux Israéliens pour qu'ils quittent leur pays, sous prétexte qu'Israël est en guerre et qu'on y meurt ? Qu'il hurlerait, si d'aventure c'était le cas ! On comprend qu'en recommençant à inciter les juifs français à immigrer «immédiatement» comme il vient de le faire aujourd'hui, Sharon se comporte doublement en nationaliste: juif et Israélien. Mais il faudra bien qu'il entende un jour, lui et tant d'autres, que les Français juifs ont leur propre nationalisme: ils sont Français, que cela plaise ou non à ce chef de gouvernement et à l'Agence juive. Et quoique prétendent eux-mêmes une poignée de ces citoyens français. Lesquels, d'ailleurs, n'ont en effet qu'à émigrer pour mettre leurs actes en conformité avec leurs propos et leurs aspirations. Car il faudra bien qu'on l'admette enfin: après cinquante six ans d'existence de l'Etat d'Israël, il y a dorénavant deux grandes branches du judaïsme, de la vie juive, de l'être juif. Les intérêts, les points de vue, les objectifs de ceux qui appartiennent à chacune de ces deux branches ne coïncident pas forcément, parfois même divergent, au-delà d'une solidarité.
Israël fait certainement face à un très grave problème démographique, et nul doute que le tarissement de l'immigration russe met ce pays devant une difficile équation. Ce n'est pourtant pas une raison pour essayer de trouver un relais du côté de la France. S'il ne saurait être question de nier la recrudescence très préoccupante de l'antisémitisme à laquelle nous assistons – affaire du RER ou pas -, de contester la difficulté et la peur quotidiennes qui sont devenues le lot commun dans certaines banlieues, il ne serait pas plus acceptable de laisser dire que l'antisémitisme règne partout, au point que les Français juifs sont menacés.
On ne déserte pas devant les fléaux, on les combat.
Puisqu'il y a antisémitisme, il convient de dire, d'alerter sans relâche sur ses sources et ses acteurs, sans oublier, surtout sans oublier, l'extrême droite. La tâche est d'autant plus aisée, après tout, que ce qui - et ceux qui - menacent les Français juifs menacent tous les Français, leur histoire, leur modèle sociétal et leurs droits acquis chèrement, en particulier les droits des femmes. Petit à petit, tout le monde s'en rendra compte. Croît-on vraiment que les Français restent indifférents quand une association islamiste proclame qu'elle veut mettre le feu scolaire à la rentrée avec cette affaire de hidjab ? Ou quand un islamiste étranger, un Frère musulman du nom de Tariq Ramadan, s'estime autorisé à exiger du pouvoir français qu'il s'excuse d'être monté trop vite au créneau dans l'affaire du RER ?
La tâche est également facilitée parce que, contrairement à ce qui s'est hélas passé sous Vichy, la République de 2004, loin d'avoir abdiqué, a pris en un rien de temps toutes les mesures nécessaires, législatives, juridiques, policières. Qu'il faille ensuite attendre un peu pour que s'inscrivent dans les faits et les esprits ce qui va se mettre en route notamment dans les écoles, quoi de plus normal ?
Bref, en ce 18 juillet, date anniversaire de la rafle du Vel d'Hiv, Ariel Sharon se montre indécent. Ce jour de 1942, sous l'autre France, 13 000 juifs ont été parqués dans un stade par la police collaboratrice, et plus de 8 000 d'entre eux ont ensuite été envoyés dans les camps de la mort où ils ont été gazés et éliminés. Et bien, le jour où on commémore cette horreur, il est tout simplement inadmissible de lancer cet appel de Jérusalem à la fuite, comme si une comparaison s'imposait entre les deux époques, ou comme si l'histoire s'apprêtait à se répéter. Cela s'appelle de l'égarement.
Quelques centaines d'incidents ou de délits antisémites dans un état de droit ne sont pas l'équivalent de 13 000 raflés et 8000 morts dans un état indigne. Mais la mémoire de cette tragédie permet aussi, opportunément, de rappeler que les victimes d'une intégration plus ou moins réussie, ne peuvent être désormais considérées, ne peuvent se considérer, ne sont pas les frères et les sœurs en martyre des cadavres d'Auschwitz.